dimanche 11 décembre 2011

Au service de la police anti-juive

PQJ (Police aux questions juives), SEC (Section d'enquêtes et de contrôle du Commissariat général aux questions juives), troisième section des renseignements généraux, service spécial des Affaires juives à la direction de la police judiciaire de la Préfecture de police... 
Les policiers français seront très actifs aux côtés du service IV-B de la Sipo SD (Sicherheitspolizei/Sicherheitsdienst). (1)
Ce service était constitué de " volontaires avides de chasse au Juif, grisés par leur énorme pouvoir et irrésistiblement séduits par les multiples possibilités d'enrichissement crapuleux", écrira Georges Wellers, dans " Un Juif sous Vichy ". (2)
Parmi eux, André Haffner, directeur de la SEC, qui employait de nombreux indicateurs.
" Des israélites que l'on arrêtait, puis que l'on relâchait à condition qu'ils "donnent" des affaires. Quand ils avaient ainsi permis l'arrestation de tous leurs coréligionnaires de leur quartier, on les envoyait à Drancy à leur tour " : la méthode est donnée dans ce témoignage accablant qui figure dans le rapport de l'officier de police Jacques Delarue, en juillet 1957, devant le Tribunal des Forces Armées de Paris. (3)
Dans sa déposition, en octobre 1946, Kurt Schendel, ancien secrétaire du service de liaison de l'UGIF, fait également allusion aux pratiques de Robert Jodkun, de la Sipo-SD, qui " avait à sa solde des indicateurs, hommes et femmes ". (4)
Une liste de 32 personnes sera fournie lors de l'interrogatoire de l'inspecteur Henri Jalby, recueilli dans le cadre de la même commission rogatoire. Plusieurs indicateurs sont Juifs. (5)
Ainsi, Serge Epstein, qui aurait " fait arrêter des centaines de ses coréligionnaires ", affirme Jalby en précisant que cet indicateur du sous-officier Schmit, de la rue des Saussaies, " était autorisé par lui à sortir sans étoile ".
Le 30 novembre 1942, Epstein s'était d’ailleurs vu accorder une exemption d'étoile jaune par Röthke.
Serge Epstein se prénommait en réalité Samuel. (6)
Une fiche du camp de Drancy du 22 janvier 1944 signale son internement, pour " services rendus à la Gestapo" mais on ne trouve nulle trace de sa déportation. Trafiquant d'or, il aurait réalisé une fortune " de plus d'un million de francs " affirmait Jalby dans son interrogatoire.
Autre personnage très impliqué, exempté d’étoile : Maurice Lopatka. (7)
Né à Varsovie le 7 juin 1883, Moszek Lopatka est considéré par Léon Poliakov comme le " plus terrible des informateurs juifs, employé par les services anti-juifs tant allemands que français. Responsable de l’arrestation de centaines de juifs qu’il faisait chanter avant de les dénoncer pour toucher des deux côtés ". (8)
Une accusation que l’on retrouve dans l’interrogatoire par la commission d’épuration, d’Alfred Jurgens, traducteur alsacien, détaché aux Affaires juives de la Gestapo :
" Vous connaissez Lopadka ? "
Réponse : " C’est un sale juif, dénonciateur de centaines de ses coréligionnaires ". (9)
Arrêté par les FFI à la Libération de Paris, détenu dans la prison clandestine de la villa Saïd 
(ancienne résidence de Pierre Laval, transformée en centre de détention), il sera transféré à Fresnes et fusillé. (10)

Six autres exemptions

Six autres exemptions d’étoile seront demandées par Röthke pour des juifs travaillant avec la police anti-juive. Elles concernent :
Roger Nowina, 47 ans.
Les frères Robert et Claude Lambert, 43 et 42 ans.
Gaston Naxara, 35 ans. Interné à Drancy le 13 novembre 1943, il ne sera pas déporté.
Deux femmes : Hildegard Bergmann, 20 ans, et Camille Wilenski, 44 ans. (11)

Hildegard Bergmann, secrétaire allemande (née à Fürth en Bavière), domiciliée 78, rue Beaubourg, dans le 3e arrondissement, sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 55, du 23 juin 1943, mais sera libérée du camp de Ravensbruck, en mai 1945, par l’armée américaine. Elle sera de retour à Paris le 11 juin 1945. (12)

Les frères Lambert, épiciers, seront déportés à Auschwitz avec leurs familles, par le convoi n°62, du 20 novembre 1943.
Marianne-Sarah Lambert, née Maus, épouse de Claude, avec ses enfants Gérard, Francine et Jean-Pierre, mais aussi Suzanne Lambert, née Bloch, épouse de Robert, avec ses enfants, Michel et Jacques.
Daniel Lambert, le père de Claude et Robert, fut arrêté le 4 décembre 1943, et déporté par le convoi n° 63, du 17 décembre. Aucun ne revinrent.

Signalons aussi l’exemption accordée à l’indicateur Eduard Laemle, né à Bône (Algérie). 
En février 1944, Röthke demandera son arrestation mais en mars, il présente des papiers prouvant son appartenance à " la race aryenne ". (13)

(1) Des liens mis en évidence par Jean-Marc Berlière, dans " Les policiers français sous l'Occupation " (Perrin, 2001) et par Maurice Rajsfus, dans " La police de Vichy " (Le Cherche Midi, 1995).
(2) Georges Wellers : " Un Juif sous Vichy " (Tiresias, 1991), p. 59.
(3) CDJC-DXL VI-73 Rapport de 25 pages de l'officier de police Jacques Delarue, du 11 juillet 1957.
André Haffner (1909-1987), ancien avocat à Tunis, sa ville natale, sera administrateur de Tunis Journal, directeur éditorialiste de Radio-Tunis où il invite chaque jour la population à collaborer. Evacué par avion par les Allemands le 13 mai 1943, il se réfugie en Italie et arrive à Paris. Le 1er juin, il entre à la SEC où il sera directeur du 1er novembre 1943 au 30 mai 1944. Condamné à mort par contumace par la Cour de justice de la Seine le 3 novembre 1949. Se rend en février 1955 après 10 ans de cavale. Sera acquitté en 1956 par le Tribunal des Forces Armées de Paris.
(4) CDJC-XCVI-56 bis Déposition du 7 octobre 1946 de Kurt Schendel, ancien secrétaire du service de liaison de l'Union générale des israélites de France (UGIF), impliquant Joseph Antignac, Robert Jodkun, Franz Schmid, Henri Jalby, Lucien Knabel, MM. Goepfert et Juergens pour leur collaboration durant l'occupation allemande, établie auprès de René Seyvoz, commissaire de police à la direction des Renseignements généraux.
(5) CDJC-XCVI-61 Déposition du 15 octobre 1946 d'Henri Jalby, ancien inspecteur à la Police des questions juives, impliquant plusieurs personnes ayant dénoncé et fait arrêter des personnes juives, établie auprès de René Seyvoz, commissaire de police à la direction des Renseignements généraux.
(6) CDJC-XXVa-179 Exemption accordée jusqu'au 15 septembre 1942, prolongée jusqu'au 31 décembre. Samuel Epstein est né en Russie le 20 mai 1888.
Epstein recevra également une " autorisation de voyager pour se procurer les documents nécessaires concernant son ascendance ", ce qui facilitait ses activités.
(7) CDJC-XXVa-189 Certificat du 24 juillet 1942, signé par Röthke. Exemption jusqu’au 31 août 1942, prolongée par trois fois jusqu’au 3 avril 1943.
(8) Léon Poliakov : " L’Etoile jaune - La Situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les Législations nazie et vichyssoise " (Editions Grancher, 1999), p. 70.
(9) Archives de la Préfecture de police de Paris. Dossier d’épuration n° KB 59.
(10) Jean Bocagnano : " Quartier des Fauves, prison de Fresnes " (Editions du Fuseau, 1953) p. 83-84.
(11) CDJC-XXVa-165 et 166.
CDJC-XXVa-206 : l’exemption de Camille Wilenski sera renouvelée quatre fois jusqu’au 31 août 1943.
(12) Documentation de l’ITS (International Tracing Service, Croix-Rouge, Arolsen)
(13) CDJC-XXVa-183 Trois documents du 15 mai 1943 au 14 mars 1944.
CDJC-VI-140 Laemle fait partie d’une liste de personnes, anciens combattants, qui font l’objet d’une demande de remise en liberté, en avril 1942, suite à leur internement à Drancy et Compiègne.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

comment peut-on avoir accès aux documents originaux concernant le point (11) ?

Anonyme a dit…

comment peut-on avoir accès aux documents originaux concernant le point (11) ?