jeudi 9 octobre 2014

Patrick Modiano, Prix Nobel de littérature 2014


Prix Nobel de littérature 2014, Patrick Modiano voit son obsessionnelle quête du passé récompensée. L'académie suédoise a voulu saluer « l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ».
Son premier roman, "La Place de l'étoile", publié en 1968, nous plongeait effectivement au coeur de l'obscurité du passé. Un récit quasi autobiographique, racontant l'histoire de Raphaël Schlemilovitch, juif français, né comme Modiano après la guerre.
Ce héros hallucinatoire, aux mille existences, cotoie aussi bien Maurice Sachs qu'Otto Abetz, Brasillach, Drieu la Rochelle, Proust, Dreyfus, mais aussi la Gestapo, Hitler, Eva Braun et les amiraux pétainistes. Et en exergue de son roman, on trouve cette remarquable histoire juive : « Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : "Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ?" Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »
Cette inguérissable blessure raciale, on la retrouvera dans toute son oeuvre et toute sa vie.
Elle est liée à l'ombre de son père, Albert Modiano qui rencontra en 1942, sa future mère, traductrice à la Continental, la société de production contrôlée par l'occupant allemand.
Clandestin, ce père ne porta pas l'étoile jaune, mais il travailla avec le bureau d'achat du SD, le service de renseignement de la SS, en leur revendant des marchandises issues du marché noir.
Un père absent, le rejet de sa mère qui le place deux ans en nourrice, un petit frère mort à dix ans, son baptême à cinq ans, Patrick Modiano aura eu une enfance terrible.
Son adolescence ne vaudra guère mieux, avec des études ratées au lycée Henri IV, jusqu'à sa rencontre, décisive, avec Raymond Queneau, un ami de sa mère.
L'auteur surréaliste lui donna même des cours particuliers pour l'aider à passer son bac.
Il lui ouvrira toutes grandes les portes du monde littéraire, notamment les éditions Gallimard qui publieront son premier roman "La Place de l'étoile".
Queneau aidera Patrick Modiano dans sa résilience, en se substituant au père maudit avec qui il sera définitivement fâché, de 1966 jusqu'à sa mort, dans de curieuses circonstances, en 1977.
Mais ce père continuera de hanter une bonne partie de l'oeuvre de Patrick Modiano.
Il apparait dans "Dora Bruder", publié en 1997, puis dans "Un pedigree", paru en 2005. Face à l'énigme du père, son côté trouble, ses trafics, sa mystérieuse libération par un "ami" de la Gestapo alors qu'il est en partance pour la déportation, l'écriture sera pour Modiano comme une libération.
Dans chacun de ses livres, Modiano nous invite à partager la complexité de personnages ordinaires, à travers un jeu de piste dans le Paris de la Seconde Guerre Mondiale.  Des personnages, comme lui, en quête d'identité.